Une œuvre sans équivalent dans la littérature chinoise
Li Qingzhao est l’héritière d’une tradition d’expression poétique plus que millénaire, très abondante et de grande qualité. Son lyrisme même est issu du développement d’une nouvelle forme prosodique, le 詞, « poème à chanter » ou odelette à vers irréguliers, qui a permis aux écrivains de l’époque des Song de donner libre cours à la manifestation plus personnelle de leurs sentiments, le plus souvent en tonalités élégiaques ; forme poétique aussi dont le grand écrivain Su Dongpo 蘇東坡 venait, à la génération précédente, d’étendre la thématique et de diversifier le style. De tout ceci, la femme cultivée, savante même, qui a écrit les textes qui suivent et souvent les mélodies qui les accompagnaient, n’était pas seulement familière : c’en était un expert. Pourtant, son œuvre tranche sur tout ce qui précède – par la langue, par les images, par les thèmes, par l’inspiration. Elle tranchera aussi, il faut bien l’admettre, sur tout ce qui suivra dans le domaine chinois : elle ne trouvera vraiment d’écho que beaucoup plus tard, dans notre poésie, que son histoire propre conduira indépendamment dans les mêmes parages quand elle devint moderne, à partir du milieu du XIXème siècle. La grande poétesse chinoise apparaît donc surtout dans l’histoire littéraire de sa civilisation comme un grand auteur singulier.
La vie de Li Qingzhao
Li Qingzhao est née dans une famille aristocratique et cultivée à Jin Nan 濟南, dans l’actuel Shandong. Son père est fonctionnaire au Bureau des Rites, sa mère est elle-même une poétesse remarquée. Elle bénéficie ainsi d’une éducation à la fois approfondie et ouverte, et manifeste dès l’adolescence des dons exceptionnels de composition poétique qui lui valent déjà une certaine notoriété ; elle sait aussi peindre, composer de la musique et chanter. Elle épouse en 1101 à dix-huit ans un jeune lettré lauréat des concours, Zhao Mingcheng 趙明誠, passionné d’épigraphie et de poésie, dont le père deviendra premier ministre, et qui se trouve employé à Kaifeng, la capitale des Song. Suite aux revers que subissent les carrières de leurs pères respectifs lors des luttes politiques entre factions, le couple en 1107 doit s’installer en province, où pendant une dizaine d’années il rassemble avec passion une importante collection de peintures et d’inscriptions antiques. Le bonheur est au rendez-vous : Li Qingzhao sera un chantre de l’amour conjugal.
Mais l’attaque des Jin en 1126 les contraint à s’enfuir vers le sud ; Zhao Mingcheng retrouve des postes dans cette région, mais meurt en 1129 lors d’un voyage à Nankin pour recevoir une nouvelle affectation. Dans la confusion totale qui règne devant l’avance des Jürchen, Li Qingzhao s’enfuit de ville en ville à la suite de la Cour, jusqu’à Lin’An 臨安 (l’actuelle Hangzhou 杭州) où elle fera publier, en 1136, le Catalogue des inscriptions sur pierre et bronze : il ne reste alors rien des collections qui en furent la source, brûlées ou pillées. D’après une lettre qui nous est restée, la poétesse désemparée et malade s’est remariée en 1132 avec un homme qui la bat : refusant de se résigner à ce nouveau malheur, elle obtient le divorce au bout de trois mois au prix d’un séjour en prison. Elle passera la fin de sa vie dans l’errance et la pauvreté. On ne connaît même pas la date de sa mort : les indications varient largement d’un ouvrage à l’autre.
Son œuvre et ce qu’il en reste
Li Qingzhao publia durant sa vie sept volumes de 詩 poèmes réguliers et de prose, et la partie la plus remarquable de son œuvre : six volumes de 詞, odes à vers irréguliers. De tout ceci, il ne nous est parvenu que quelques lambeaux. De l’œuvre en prose, trois textes : le bref traité sur les odes intitulé 詞論, la postface au Catalogue des inscriptions sur pierre et bronze précédemment évoquée, et une lettre. De l’œuvre poétique, outre quelques fragments de vers isolés, une quinzaine de 詩 et une cinquantaine de 詞. Ce sont ces derniers dont on trouvera la quasi-intégralité ci-contre.