Le Moyen-Âge chinois
Les deux textes présentés ici se situent à une époque que Jacques Gernet appelle « le Moyen-Âge chinois » et qui s’étend du IIIème au VIème siècle ; quatre siècles de confusion qui séparent l’effondrement de l’empire des Han 漢 (vers 190) de la réunification de la Chine sous la dynastie des Sui 隋 en 589 suivis immédiatement des Tang 唐 (618-907) ; quatre siècles dont l’histoire évènementielle et politique, mais aussi culturelle, est d’une grande complexité.
Royaumes "barbares" au Nord, colonisation du Sud
Cette période se caractérise du point de vue politique par la séparation entre la Chine du Nord (plaine centrale autour du Huang He) et la Chine du Sud (bassin du Yangzi et au delà d’une part, Sichuan de l’autre). Au Nord, on assiste à la sédentarisation des nomades des steppes qui se sinisent et créent de nouveaux royaumes ; les Etats ainsi constitués adoptent des tendances centralisatrices très inspirées de la tradition légiste des Qin et des premiers Han et déploient un effort militaire vers les steppes (Asie Centrale, Mongolie, Mandchourie), à la fois justement pour se protéger des incursions barbares (c’est le contexte précis de la Ballade de Mulan) et pour contrôler les routes commerciales. Parallèlement, aux mêmes époques, la Chine du Sud présente les caractéristiques d’un monde colonial : les Han, qui arrivent par vagues d’immigrants successives mais antagonistes, assimilent progressivement les populations autochtones avec de multiples emprunts culturels ; la densité de la population et l’activité agricole et commerciale restent faibles ; la société est durablement dominée par les grandes familles qui accaparent le pouvoir. Isolé géographiquement, mais riche et bien placé sur les routes commerciales, le Sichuan pour sa part sera parfois autonome, parfois rattaché à l’un des deux mondes précédents.
Une Chine en proie aux troubles et à la division
On distingue traditionnellement trois périodes :
- les Trois Royaumes 三國 (220-265), dominé par la personnalité du général (et poète) Cao Cao 曹操 qui initie au Nord la dynastie des Wei 魏 ;
- les Jin Occidentaux 西晉 (265-316), dynastie fondé par une famille de généraux des Wei, qui leur succèdent et réunifient brièvement la Chine en 280, mais n’arrivent pas à imposer leur autorité aux grandes familles ; la guerre civile plonge le pays dans le chaos à partir de 291, provoquant au Nord la prise du pouvoir par les barbares des steppes et la fuite des populations chinoises vers le Sud ;
- les Dynasties du Nord et du Sud 南北朝 (317-589) : tandis que les Jin (dits alors orientaux) se replient sur le Yangzi, le Nord est morcelé en une multitude de royaumes « barbares » pendant plus d’un siècle. Au Nord comme au Sud, les dynasties se succèdent dans la confusion ; seule l’une des anciennes tribus nomades, sinisée et connue sous le nom des Wei du Nord 北魏, dominera entre 439 et 534 l’ensemble de la Chine septentrionale.
Dynamisme culturel et ferveur religieuse
Cette période troublée est aussi une période d'intense fermentation intellectuelle et de riche production littéraire et poétique. La littérature se libère de la tradition classique tournée vers les rites, les préoccupations morales et le service de l’Etat ; sous l’influence du taoïsme, on cherche à s’évader de la rigueur des temps, on s’intéresse à la nature, on cultive l’anticonformisme et la spontanéité, on pratique et on apprécie l’art pour lui-même, on invente la peinture de paysage. Tao Yuanming apparaît comme l'un des représentants typiques de cette tendance. Parallèlement, le bouddhisme, sous une forme sinisée, se répand vigoureusement dans toute la Chine à partir du début du Vème siècle ; il est adopté en particulier par les Wei du Nord, tandis que les monastères se multiplient dans le Sud ; il stimulera l’art (peinture, statuaire, architecture) et la littérature ; son influence sera profonde et durable.