Un grand texte en langue classique Le texte présenté ici est un très grand classique de la littérature chinois, et comme tel probablement connu de la plupart des écoliers de Chine … Il est remarquable de retrouver dans les dictionnaires chinois ou chinois-français d’aujourd’hui, pour illustrer l’emploi de certains caractères, les expressions employées ici même par Tao Yuan Ming : on a ainsi noté successivement lors de cette traduction «落英» (pour illustrer 英) puis «落英繽紛» (pour illustrer 繽), «豁然開朗» (pour illustrer 豁), et «屋舍儼然» (pour illustrer 儼) ! C’est dire la notoriété de ce texte, qui continue d’être fréquemment traduit. Le thème de la narration est de présenter un archétype d’utopie « réaliste », celui d’une société protégée des vicissitudes de l’histoire dans le repli d’une montagne, vaquant à ses travaux agricoles dans l’harmonie des générations, et qui aurait en quelque sorte oublié le temps. Cette utopie s’explique aisément par une réaction devant la confusion politique, militaire et économique qui a pu régner pendant le Moyen-Âge chinois. Mais, même si les Chinois ont bonne mémoire en matière culturelle et littéraire, qu’elle ait pu demeurer quinze siècles comme une référence en dit beaucoup sur un état d'esprit des Chinois face au déroulement chaotique de l’histoire de la Chine comme face aux évolutions de la société qui en résultent : cette utopie traduit le refus du désordre et des souffrances qu’il engendre, l’aspiration à une harmonie collective, l’accord avec la nature dont on admire la beauté. Ce texte est rédigé dans une prose classique d’une grande limpidité malgré sa concision, en périodes de trois à cinq caractères - en général quatre - qui s’enchaînent naturellement et donnent au récit un rythme régulier ; comme pour toute oeuvre classique, il n’y avait aucune ponctuation dans le texte initial . Ce glissement progressif mais continu, comme la barque du pêcheur dans les méandres du ruisseau, sans que rien ne vienne en perturber le fil, sans qu’aucun détail, aucune étape ne mérite ni qu’on s’y arrête, ni qu’on s’en prive en sautant pour aller plus loin, amène la narration à son terme de façon si naturelle qu’on s’en trouve surpris ; il contribue évidemment à l’impression profonde d’une utopie, harmonieuse et fugitive comme un rêve, laissée par ce texte dont la rédaction est aussi discrète dans ses procédés que remarquable par sa maîtrise.